Apaches

« Les pauvres haïssent les riches et les riches ont peur des pauvres. Cela sera éternellement. »
Lettre de Gustave Flaubert à George Sand


INTRODUCTION ET ENJEUX
Il s’agit donc de parler d’une société où les nouvelles technologies, en même temps qu’elles transforment pour toujours le quotidien des hommes, creusent un fossé irrémédiable entre ceux qui les possèdent ou les maîtrisent et ceux qui ne peuvent les utiliser pour des raisons pécuniaires.
Il s’agit de parler d’une société où la délinquance va toujours grandissante. Il s’agit de parler d’une ville et de ses faubourgs ou des milliers de délinquants, habillés de façon ô combien reconnaissable, casquettes penchées sur le visage, font régner la terreur le jour et la nuit.
Constitués en bandes, armés de couteaux ou de revolvers, ces très jeunes gens et ces très jeunes filles insultent, volent, agressent les passants sous les yeux d’une police impuissante parce que privée de moyens.
De quoi s’agit-il ? D’une série sur la société d’aujourd’hui et ses fléaux ? Non ! Il s’agit d’évoquer les Apaches, ces délinquants qui firent trembler bourgeois et policiers jusqu’à l’orée de la première guerre mondiale.
Cette société d’avant 1914 est en grande partie comparable à la nôtre. De grandes fortunes se constituent tandis que la pauvreté et la misère sont le lot quotidien des laissés pour compte. Le train, la voiture, le téléphone ont transformé la vie de bon nombre d’individus. En passant à un autre âge, c’est une société plus archaïque qui meurt mais avant de mourir, ceux qui ne peuvent s’insérer dans cette évolution, les plus jeunes, les plus virulents, les plus désespérés rejettent cette société et la défient crânement.
Le parallèle entre ces deux périodes de notre Histoire est facile à tracer. Ce début de XXIe siècle est un balbutiement, un écho du XXe siècle tellement novateur et tellement tourmenté.
Les téléspectateurs vont donc être appelés à suivre des personnages qui seront immédiatement identifiables.
S’adapter ou mourir c’est le lot de chaque humain depuis l’apparition de l’homme sur terre, c’est donc un sujet qui nous est consciemment ou non familier au point d’être au cœur même de nos vies.
Il est le thème central de nos préoccupations. Que va-t-on devenir ? Que feront nos enfants pour s’adapter à ce monde en permanente mutation ?
Mais il arrive que certains ne se sentent ni l’envie, ni le besoin de suivre cette course effrénée. Repensons au personnage de Johnny Guitar qui, lors de la scène d’ouverture du film de Nicholas Ray, assiste simultanément au vol d’une diligence et en contrebas au passage d’un train. Il est clairement placé au centre entre une société archaïque et folklorique qui meurt et une société mécanique, industrialisée à laquelle il n’appartiendra jamais.
Ces héros, conscients, pris en étau, déjà des ombres avant que leur vie n’ait pris fin, font les plus beaux héros de fiction.
S.K

1 L’HISTOIRE, LA VRAIE

APACHES : MYTHE OU REALITE
Il y a tout juste un siècle, Paris regorgeait de délinquants, c’est du moins ce que relatent les gazettes de l’époque comme le Parisien, le Petit Journal ou le Matin(1). On dénombrait plus de 30 000 malfrats, sur une population Parisienne s’élevant à près de 3 millions d’âmes.
C’est à deux journalistes, Arthur Dupin et Victor Morris, que l’on doit cette appellation d’Apaches. Le choix n’est pas innocent, en créant un parallèle avec la tribu indienne réputée la plus indomptable et la plus féroce, ces journaux alarment le bourgeois et accentuent le phénomène d’insécurité.
Cela permettra à ces mêmes journaux de mettre au banc des accusés la police et la justice bien sûr mais au-delà, la « gueuse », la république elle-même, régime identifié comme faible et laxiste par ces nostalgiques d’un pouvoir autocratique.

APACHES : UN PHENOMENE PARISIEN
Si la délinquance n’est pas l’apanage de la capitale, le phénomène Apache est une spécificité du Paris de l’époque. On parlera ainsi de Nervis à Marseille ou des Kangourous à Lyon lesquels n’ont pas laissé une trace aussi prégnante dans l’imaginaire collectif.
Ces malfrats sont jeunes, la plupart ont moins de 20 ans. Ils se constituent en bandes plus ou moins organisées ayant à leur tête un chef qui n’a pas tous les pouvoirs et peut être destitué s’il fait preuve de trop d’autoritarisme.
Certains de ces chefs ont fait les « Bat d’Af », les bataillons d’Afrique, des régiments disciplinaires où ils se sont endurcis.
Les bandes se constituent par quartiers, rues, écoles, ou maisons de redressement. On les trouve dans l’Est Parisien, sur les hauteurs de Belleville, de Montmartre, aux abords de la Bastille, la rue de Lappe étant un de leur fief mais aussi près des hôtels borgnes de la République et du Temple. Le quartier des Halles devient vite leur Eldorado. Chaque nuit, des bagarres entre bandes éclatent près du square des Innocents. Mais les Apaches vont essaimer. Chaque quartier a sa bande, la Maub, le Montparno, la Mouff, Menilmuche, la Bastoche, la Villetousse (La Villette) Bien vite ces quartiers deviennent des points de départ pour des expéditions en direction de quartiers plus bourgeois où il vaut mieux éviter de sortir à la nuit tombée.
On détrousse et on surine Place de la Concorde, Jardin des Tuileries, dans les Jardins du Palais–Royal, Marché St-Honoré ou sur le Boulevard St Michel. On importune, on insulte, on moleste, on vole en plein jour sous les yeux de policiers impuissants ou apeurés(2). Même si le phénomène est amplifié par une presse alarmiste, la violence engendrée par ces bandes est tangible. En 6 mois de mars à septembre 1907, 133 meurtres et agressions sont commis et 31 policiers sont tués ou blessés.
Enfin il est à signaler que ces bandes ne sont pas seulement constituées d’hommes. Beaucoup de filles « en cheveux », cigarette au bord des lèvres, les accompagnent, constituant de fidèles auxiliaires.

APACHES : DES DELINQUANTS JUVENILES
L’Apache est donc très jeune, il n’est pas rare de voir des adolescents de 15 ans se mêler à des « adultes » de 20… Ces jeunes hommes manient avec dextérité le surin (couteau) et le revolver. Les journaux de l’époque font une description sociologique de l’Apache type. Né dans des familles pauvres où il n’est pas question d’éducation. L’enfant pousse entre une mère alcoolique et un père qui passe ses loisirs à jouer à la Manille. Après l’école, les gamins jouent de 4 à 7 dans les fortifs autour desquels fleurissent les bordels et les bars louches, attendant que leurs parents rentrent de l’usine ou de l’atelier. Ils grandissent avec des gamines de leur âge, qui dès leurs 15 ans se prostituent. Il n’est pas rare de tomber sur des souteneurs de cet âge pour lesquels travaillent des « vieilles » de 20 ans. Sur les 30 000 délinquants répertoriés en 1907, 2/3 ont entre 14 et 19 ans. Mais des enfants de 10-12 ans pourront commettre des premiers larcins afin de gagner la confiance de la bande qu’ils veulent rejoindre. Ils iront voler des victuailles aux Halles, ou dérober du zinc sur les chantiers, première étape d’un chemin qui les conduira à des forfaits bien plus crapuleux.

APACHES : BANDITS DANDIES
Il ne s’agit pas pour les Apaches de se fondre dans la foule et d’être le plus discret possible. Il s’agit bien au contraire d’affirmer leur appartenance au monde des Affranchis. Le code vestimentaire va être un moyen de se distinguer de la masse et de revendiquer son statut de mauvais garçon.
Les Apaches vouent ainsi un culte absolu aux bottines à boutons qui doivent briller et se faire remarquer. Le pantalon à pattes d’éléphant, la veste courte et cintrée, le foulard de couleur négligemment noué autour du cou, la casquette plate ou ronde que l’on fait pencher sur le côté, la large ceinture qui enserre la taille et qui doit être d’une couleur identique à celle du foulard, complètent la panoplie du parfait voyou. Mais certaines bandes affichent d’autres codes. Les Corbeaux (dont l’histoire devrait servir de trame à notre série) sont ainsi tout de noir vêtu pour inspirer respect et crainte.
Au fur et à mesure que la bande prospère, la qualité des vêtements s’améliore. Si l’on ne tombe jamais dans des codes vestimentaires bourgeois, les matières sont de plus en plus nobles. L’Apache est fier, fier de son statut, de ses particularités, de ses codes. Cette mode va se répandre au point que les jeunes prolétaires des quartiers Nord et Est de la capitale vont adopter cette façon de s’habiller.

APACHES : DU VOL CONSIDERE COMME UN DES BEAUX-ARTS
Il y a bien des façons d’exercer l’activité d’Apache, voici une liste des divers vols auxquels s’adonnent les mauvais garçons.
Les Cambrioleurs : (de cambriole, petite chambre) Ils s’attaquent aux garnis, vers midi quand les occupants sont partis travailler, dans la nuit pour les logis des boulangers. Avec effraction, fausses clefs ou en escaladant les murs (monte-en-l’air.)
Vol au radin : Attendre que le commerçant se retire dans l’arrière-boutique pour plonger les mains dans le tiroir-caisse.
Vol au rendez-moi : Se faire rendre la monnaie sur un billet qu’on n’a pas donné après avoir embrouillé le commerçant par un flot de paroles.
Entôlage : Une prostituée attire le pigeon qui se fait détrousser par son souteneur.
Vol à la trouvaille : Prétendre trouver un objet de valeur aux pieds d’un gogo et lui proposer un marché.
Vol à l’Américaine : Se faire remettre de l’argent.
Vol à l’étalage : Se pratique à deux. Le gaffeur attire l’attention du commerçant pendant que son complice se sert.
Vol au Kangourou : Coup difficile réclamant du sang-froid. Il s’agit d’opérer avec un manteau avec de grandes poches intérieures.
Vol à l’esbrouffe : L’Apache se mue en pickpocket. Grand talent manuel et dextérité sont réclamés. Certains de ces « artistes » ont une réputation dans le monde des Affranchis.
Vol au poivrier : Faire les poches d’un homme ivre.
Vol au flan : Vol au hasard selon l’humeur et les circonstances.
Vol à la roulotte : Piller les voitures en stationnement.
Vol à la détourne : Se faire présenter des articles par un bijoutier et en dérober un.
Coup du père François : Ne s’accomplit qu’à deux minimum. Un des Apaches passe un foulard ou une lanière autour du cou d’un pigeon tandis que l’autre complice fait les poches du passant.
Autres ressources : Le tapinage et le bonneteau, jeu truqué qui se pratique sur les trottoirs avec un complice.

APACHES : SIGNES DISTINCTIFS
Les Apaches emploient un langage imagé. Ils parlent…
Le Jarre (du mot jargon)
Le Verlan
Le Javanais
Les signes de ralliement sont nombreux. Ils sont souvent tatoués. L’échafaud encadré d’un « dernier étape » étant un classique ainsi que le fameux « Mort aux vaches, vive l’anarchie ». Il y a aussi le cœur percé d’un poignard, la colombe portant une lettre au bec et enfin le bouquet de fleurs. Enfin la plupart portent sous l’œil gauche ou sur les mains un ou plusieurs points bleus tatoués à l’encre de Chine.
Les bandes empruntent souvent le nom de leur chef, la bande à Manda, la bande à Leca, rendues célèbres par le Casque d’Or de Jacques Becker ou bien encore la bande à Bébert du Montparno. Certaines bandes se réfèrent à une particularité vestimentaire, les habits noirs, les cravates vertes, ou tout simplement à leur lieu d’origine comme, par exemple, la bande des quatre chemins (Aubervilliers) ou celle des Girons du Faubourg Saint-Antoine.

APACHES : COMMUNARDS, ANARS OU FLEMMARDS
Il serait bien sûr excessif et tout bonnement erroné de considérer les Apaches comme des petits-enfants des communards ou les cousins des Anarchistes(3). S’ils sont nés dans les quartiers les plus populaires de Paris, sur les lieux mêmes des révoltes de 1871, ils ne sont porteurs d’aucune revendication politique. Pourtant, même s’ils considèrent les ouvriers comme des exploités ou des esclaves, ces derniers prennent souvent leur défense quand les policiers viennent appréhender un Apache dans un quartier populaire.
Leur dégoût de l’état bourgeois est absolu, leur raison de vivre est de défier l’ordre établi. Ils affichent un désir de liberté qui s’étend jusque dans leur façon de concevoir le rapport amoureux. Les filles sont ou se disent libres, libres d’aimer qui leur plaît. Amélie Elie, la véritable « Casque d’Or », dédiera ses mémoires à ses amants, « les chers petits voyous de mon cœur » expédiant aux oubliettes selon ses propres mots « le troupeau bêlant des hommes qui ne pressèrent entre leurs bras qu’un corps inerte. »
Pour un Affranchi, il est hors de question de travailler. Il vit de ses larcins, des femmes, mais possède cependant un certificat de travail en règle pour donner le change lors d’un contrôle d’identité. Ces certificats sont établis par des cabaretiers ou des propriétaires d’hôtels sordides qui les établissent en échange de fortes sommes d’argent.

APACHES : CHAIR A CANON
Si le journal le Matin a une rubrique croustillante intitulée Paris-Apache, relatant les exactions quotidiennes des bandes, les amplifiant au besoin, décrivant notamment des enlèvements en plein jour de jeunes filles place de la Bastille, jeunes filles qui sont séquestrées et violées dans des hôtels sordides, la presse bien pensante cherche des solutions. Répression, encore la répression, toujours la répression semble être le mot d’ordre. Les causes à ce phénomène de délinquance croissante sont recherchées. L’une des causes est, selon certains, l’alphabétisation. Les illettrés sont deux fois moins criminels que les instruits affirment d’éminents professeurs de la Faculté. Flaubert, élitiste et anti-Républicain notoire, se plaint du fait que la démocratie a élevé le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois.
La guerre de 14 sera l’occasion idéale pour la France de se débarrasser de ses voyous. Leurs qualités guerrières mal exploitées selon le mot de Latzarus feront merveille. Ils serviront de chair à canon et pas un ne reviendra du premier conflit mondial.

APACHES : DO YOU SPEAK APACHEE ?
Voici quelques termes utilisés couramment par les Apaches.
Achat à la foire d’empoigne : Vol à l’étalage
Agrafer : Arrêter
Arcassine : Jambe (en avoir plein les arcassines)
Bagoter : Marcher
Barbotin : Butin
Battant : Cœur
Bergère : Femme
Bobelins : Bottines
Boîte à cornes : Chapeau haut de forme
Bouif : Cordonnier
Bourache : Cours d’Assises
Braisé : Riche
Bricheton : Pain
Brocanderie : Bijouterie
Brodancher la couenne : Tatouer
Bûcherie : Bagarre
Chichiard : Personne qui fait des manières
Chieur d’encre : Journaliste
Couvrante : Casquette
Crosse : Heure
Déchard : Pauvre
Def : Casquette
Enjuponné : Juge
Esprit de rebiffe : Esprit de rébellion
Farguer : Blesser
Flambant : Poignard
Frère de l’attrape : Policier
Gaudin : Bandit
Gonce : Homme
Goudronné : Ivre
Jaspiner : Parler
Laraque : Pièce de 2 francs
Loupe : Flânerie
Malle : Salle de police
Pagnoter : Se mettre au lit
Pante : Bourgeois à dévaliser
Picton : Vin
Ployant : Portefeuille
Redingue : Redingote
Roule-par-terre : Eau de vie
Rouler une escalope : Flirter
Tambouriner la paillasse : Battre
Traîneuse : Robe


2 L’HISTOIRE, LA FICTION

LE THEME
De 1907 à 1914, nous suivons la vie d’une bande qui a bel et bien existé, celle des Corbeaux et de ses principaux membres. Cette bande avait élu domicile vers la place de la République. Nous suivons donc le parcours de ces jeunes hommes et jeunes femmes, de leurs premiers larcins jusqu’à la disparition complète de la bande sur le front de la Marne. La composition de la bande et le détail de ses méfaits étant une pure fiction.

L’UNIVERS
Le Paris du début du XXe siècle sert de toile de fond à la série. La société est prospère, bourgeoise, bien pensante, sordidement hypocrite notamment sur le plan de la sexualité (les bordels pullulent et les jeunes bonnes venues de province servent d’exutoire à leurs employeurs). C’est également une société en pleine mutation notamment avec l’arrivée de nouvelles technologies. La série nous mène des bas-fonds au Paris élégant de l’époque, un Paris qui a une vie nocturne mouvementée et pas seulement à cause des risques que font courir les délinquants aux honnêtes fêtards (4).

LES PERSONNAGES PRINCIPAUX
L’ARISTO, 22 ans.
Jules est surnommé ainsi parce que sa mère, qui était bonne dans une grande famille, disait avoir été engrossé par le fils des patrons, un classique de l’époque. Il n’en a jamais su beaucoup plus, sa mère est morte quand il avait 7 ans, il ne se souvient pas du nom qu’elle lui a glissé à l’oreille quelque temps avant son décès. Après ce fut l’orphelinat et la rue où il règne désormais en maître. Si son allure, sa pâleur, sa minceur, sa haute taille, son attitude bravache en imposent, Jules est un Apache à part entière. Il est violent surtout avec les bourgeois et il a déjà tué à plusieurs reprises. Il est volontairement provocateur, méprisant envers ceux qui n’ont pas sa culture (il sait lire et se plonge souvent dans la lecture des classiques grecs). Son attitude hautaine et aristocratique attise bien des jalousies dans le monde des Affranchis, y compris au sein de sa propre bande qu’il a fondé avec Gandin et Gueule d’ange, des amis de la maison de redressement où il est passé après l’orphelinat.
Jules est beau gosse, bon amant, généreux, sans scrupule, sans peur aucune et plus que les autres, il a la haine au cœur; une haine que « Soleil », pourtant folle amoureuse de lui, ne parvient pas à éteindre.

GANDIN, 20 ans tout juste.
Quand il ne vole pas, quand il ne boit pas, quand il ne dort pas aux côtés de sa « gagneuse », Antoine s’attarde devant les vitrines des tailleurs les plus chics de Paris, il déambule dans les grands magasins nouvellement ouverts. Il rêve d’aller à Londres pour y exercer ses talents de souteneur. Les Françaises ont du succès là-bas. Il pourra s’habiller chez les tailleurs de Savile Row… Antoine a bien mérité son surnom de Gandin. Même si la tenue noire est de rigueur dans la bande des Corbeaux, il surine en gilet de soie, son élégance impressionne aussi bien les siens que les victimes dépouillées.
Gandin est futile, viveur, jouisseur et le moins tourmenté des trois fondateurs de la bande. Ce pourrait être même un bon compagnon. « La flamme », jeune fille rousse qui fait partie de la bande ne s’y est pas trompée. Il sait s’amuser et elle est fière de le considérer comme son homme.
Gandin n’a qu’une philosophie, une religion : l’élégance. S’il doit mourir sur le pavé, tué d’une balle dans le dos que ce soit en gilet de soie et pantalon de flanelle anglaise.

GUEULE D’ANGE, 19 ans.
Paul connaît tout de la rue. Il a fait ses premières armes sur les fortifs où il a vite acquis une certaine réputation. À 13 ans, il gagnait plus par jour que son père en un mois. Deux éléments caractérisent Gueule d’ange, son extrême beauté qui trouble n’importe quelle femme qui croise sa route et son extrême violence, une violence incontrôlable, animale.
À 14 ans, il avait déjà deux gagneuses. L’une d’elles était folle amoureuse, tellement qu’il lui donna une bonne leçon en la prêtant aux gars d’une bande amie afin qu’ils s’amusent. C’était sa façon à lui de dire qu’il n’était pas fréquentable, pas aimable, pas digne d’amour. L’amour, il s’en gausse, c’est une illusion pour jeunes filles de province. Il veut que cette bande soit la plus redoutée de Paris, la plus effrayante, la plus efficace. Il est capable de rosser un flic en pleine rue. Il est le plus silencieux des trois. Gandin aime rire, l’aristo faire des citations, lui se tait et agit. Sa violence vis-à-vis des femmes créera une scission irréversible entre les membres de la bande.

LA FLAMME, 20 ans.
Cette jeune femme rousse, gouailleuse, grande, à la chevelure impressionnante, ne passe pas inaperçue. On la remarque, on l’entend, elle symbolise l’esprit de la rue, sa beauté et sa vulgarité mêlées.
La flamme se prostitue depuis ses 16 ans. Elle y voit le moyen de gagner sa vie et celle de son homme. Sa préférence va vers les militaires en garnison près des fortifs. De jeunes provinciaux mal dégrossi qui finissent leur affaire dans les 5 minutes. Mais elle aime par-dessus tout participer aux vols en servant d’appât la nuit tombée. Voir un de ces imbéciles de bourgeois se faire détrousser la met dans tous ses états. Sa hantise : avoir un enfant, une fille. Sur cette terre maudite où les plus pauvres souffrent de mille maux, autant jouir, rire, boire et voler et ne surtout pas procréer, voilà le credo de Marie, la rousse flamboyante.

SOLEIL, 17 ans.
Jeanne est un rayon de soleil, sa chevelure blonde, qu’elle traîne dans les rues de Paris, attire les regards et bien des convoitises. C’est une fille jeune mais avec un corps de femme qui rend fou ses clients ou tout mâle qui se respecte.
Bien qu’elle ait déjà tout vu, elle possède encore ce regard enfantin, ce rire cristallin qui a avoir avec l’innocence. Soleil aime l’amour, elle ne méprise pas les hommes au contraire de Flamme qui ne respecte que Gandin. Soleil voudrait ne se consacrer qu’à Jules, mais celui-ci ne se préoccupe d’elle que par intermittence. Elle a déjà trouvé du plaisir dans les bras des autres. Tous ces clients ne sont pas si maladroits, ni si indifférents au plaisir des femmes.
Pourtant « Soleil » rêve d’une autre vie… Elle redoute cependant que le temps des Apaches ne soit compté et que tout cela se termine très mal.

SOURICEAU, 15 ans.
Depuis ses 10 ans, le p’tit Jacques a hérité de ce surnom qui dit bien ce qu’il veut dire, il est du genre à se faufiler partout. C’est un garçon malingre, de petite taille, mais qui n’a pas son pareil pour jouer les monte-en-l’air, se faufiler dans les garnis et vider les poches des passants.
Souriceau est un membre à part entière de la bande. Il a passé son examen d’entrée il y a bien longtemps. Il est un excellent espion, un éclaireur éclairé. Son seul défaut, sa faible constitution physique ne fait pas de lui l’élu de ces demoiselles. Si Flamme l’a déniaisé en quelques minutes, il ne jure, ne rêve, n’aime tout bonnement que Soleil qui n’en sait rien ou ne veut rien savoir. Il en est fou amoureux, au point d’en murmurer son prénom aux étoiles, au point d’en pleurer en secret, au point de trahir un jour ses amis, par dépit.

Les autres membres de la bande seront des silhouettes avec une caractérisation plus ou moins développée selon les épisodes.

LES PERSONNAGES SECONDAIRES
VALLABON, 38 ans.
Vallabon dirige le commissariat de Montmartre où la bande va venir s’établir. Il est corrompu, cruel, se méfie des ouvriers et de tous les socialos. Il va vite comprendre que les Corbeaux seront des clients avec lesquels il ne pourra pas pactiser.

ŒIL DE LYNX, 23 ans, chef de la bande de Belleville.
Ennemi juré des Corbeaux, il les haït au point de s’allier aux flics pour les voir disparaître, à chaque confrontation au square des Innocents, ses gars y ont perdu des plumes, du sang et parfois la vie.

CHIEUR D’ENCRE, 35 ans, Auguste Bernodet, journaliste au Matin.
Démagogue, anti-républicain, il ne rêve rien d’autre que d’effrayer la populace et le bon bourgeois. Il écrit des articles au vitriol dans son canard tout en cherchant à approcher des Corbeaux pour savoir à qui il a affaire.

ROSE, 16 ans. Jeune fille née sur la Butte Montmartre, élevée par sa grand-mère, blanchisseuse.
Jolie comme un cœur, innocente, elle va avoir le malheur de croiser Gueule d’Ange qui la séduira, voudra la mettre sur le trottoir et la tuera pour désobéissance. Une véritable héroïne de chanson réaliste.

LE POETE, 25 ans.Crève misère, habitant les contreforts de la Butte.
Il croque la vie du quartier, il défie la police avec ses pamphlets, il est un autre amoureux transi de Soleil qui succombera à sa douceur. La police lui fera payer chèrement ses audaces.

LA MERE TINTOUIN, 50 ans et plus.
Patronne d’un bar louche ouvert toute la nuit qui va vite devenir le repère des Corbeaux. Gouailleuse et magouilleuse à souhait.

D’autres personnages secondaires ou simples silhouettes peuvent surgir au cours des épisodes.

LES EPISODES
1 A LA UNE - 1907
Le quotidien le Matin lance sa campagne de presse contre les Apaches. Cette mise en lumière amuse la bande des Corbeaux dont les membres rêvent de faire la Une. D’audaces en audaces, de rixes en rixes, de larcins en cambriolages périlleux, ils construisent leur légende et leur réputation qui s’étend au-delà de Paris.

2 MIGRATION - 1908
L’Aristo rêve de grand air. La bande va s’établir à Montmartre où elle déloge la bande locale avec violence. Premières dissonances au sein des Corbeaux à propos de ce besoin de notoriété. Ils font la connaissance de quelques personnages haut en couleur de Montmartre et trouvent dans le commissaire Vallabon un ennemi tenace, cruel mais sans grands moyens.

3 VENGEANCES - 1909
Souriceau, amoureux de Soleil, voit avec inquiétude la jeune fille se rapprocher du poète. Son dépit amoureux va le conduire à se venger horriblement du pamphlétaire qui se moque de la police à longueur de publications, il le vend aux flics qui battent le poète à mort. Pendant ce temps, l’Aristo retrouve la famille de son géniteur, il la cambriole et assassine son demi-frère.

4 LES TEMPS MODERNES - 1910
La bande se motorise et commet d’autres types d’exactions. Elle se heurte à des policiers mieux équipés et beaucoup plus déterminés que leurs collègues. Ce passage à un autre type de délinquance ne se fait pas sans heurts. Mais les gains amassés changent la vie de tous les membres de la bande, filles comprises lesquelles arrêtent de se prostituer.

5 ROSE DE LA BUTTE - 1911-1912
Gueule d’Ange séduit Rose, une toute jeune fille qui tombe follement amoureuse de lui. Il la surine parce qu’elle refuse de se prostituer. Gandin et l’Aristo chassent Gueule d’Ange de la bande. Celui-ci part à Londres pour y poursuivre ses activités de souteneur. Le déclin des Corbeaux est annoncé, Gandin rêvant déjà de se retirer des affaires.

6 BORDS DE MARNE - 1913-1914
Une dernière fois, la bande se réunit sur les bords de Marne. On parle d’un dernier gros coup. Soleil apprend de la bouche de Souriceau que le Poète est mort par sa faute. Parce qu’il ne supportait pas cette liaison qu’elle entretenait avec lui. Soleil blesse mortellement Souriceau. La bande se déchire, certains considérant que Soleil doit payer pour cet acte. Gandin et l’Aristo sont arrêtés par la police. La guerre éclate. Les prisonniers de droits communs sont libérés et enrôlés dans des régiments de choc. Sur les bords de Marne, face aux lignes Allemandes, Gandin, l’Aristo et Gueule d’Ange revenu de Londres se retrouvent pour une dernière ballade mortelle.

NOTES
(1)Le Matin fut le journal le plus virulent dans la dénonciation du phénomène « Apache ». Le 5 octobre 1907 il déclare à la une « La guerre aux Apaches » appelant ses lecteurs à témoigner et à proposer des solutions pour venir en aide à une police inefficace et à un gouvernement que le quotidien juge faible et impuissant. Ce journal clairement anti-républicain, anti-Jauressiste prônait une politique ultra répressive envers les délinquants avérés et leurs complices. « Si la guillotine et le bagne ne sont pas assez dissuasifs, armons les honnêtes gens afin qu’ils puissent se défendre. »

(2) Il convient de préciser que les effectifs de la police en 1907 n’ont pas évolué depuis 1892. La totalité des effectifs ne dépasse pas les 8 000 hommes. On compte environ entre 340 et 380 policiers par arrondissement. Le rapport est donc de 1 policier pour 4 Apaches. Depuis la fin du XIXe existe une brigade des voitures, composée d’éléments en civil, dont le nombre est bloqué à 230 membres.

(3) Libertad qui sous ce sobriquet écrit des articles dans le journal « l’Anarchie » prend leur défense ou plutôt considère qu’ils servent à bon compte d’épouvantail tandis que « des hommes, des femmes, des enfants sont quotidiennement saisis, brutalisés, enfermés par la suite d’un caprice de l’agent qui passe. » Libertad mourra en novembre 1908, roué de coups par les policiers qui le lanceront du haut des escaliers Sainte Marie à Montmartre.

(4) Depuis la loi de 1880 qui permet à certains établissements d’être ouverts toute la nuit, notamment dans le quartier des Halles afin de permettre aux provinciaux de se nourrir après avoir déposé leur marchandise, les Apaches ont trouvé des cafés ou des restaurants où ils peuvent se réunir et repérer la victime esseulée d’un prochain larcin. Là se retrouvent les travailleurs de la nuit, les voleurs et les bourgeois venus s’encanailler.

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